Pourquoi les entreprises doivent tenir compte de la dimension sociale du développement durable ?
Le 03/11/09 par cyrill.ePar Julien Goy : collaborateur scientifique à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud, dans les domaines du développement durable, de la responsabilité sociale et de l’éthique d’entreprise.
Cet texte est la réponse à un commentaire de l’article : Investissement Socialement Responsable : on ne refait pas le monde, mais on y contribue
La responsabilité sociale d’une entreprise s’exerce en interne (salariés) et en externe (fournisseurs, clients…)
Ce qu’il faut comprendre avant tout, c’est que la responsabilité sociale d’entreprise (RSE) a deux dimensions: interne et externe.
Par dimension interne de la RSE, on comprend les mesures qui touchent premièrement les salariés et concernent par exemple l’investissement dans le capital humain, la santé et la sécurité, ainsi que la gestion du changement et les pratiques écologiques responsables.
En ce qui concerne la dimension externe de la RSE, il existe également différentes mesures qu’une entreprise peut prendre : il y a les mesures ayant trait aux communautés locales et à l’intégration de l’entreprise dans son milieu local. Il y a également des mesures portant sur le respect des droits de l’homme. Cela concerne notamment les activités internationales de l’entreprise et ses chaînes de production à l’échelle planétaire. Enfin, il reste les mesures liées aux préoccupations environnementales à l’échelle planétaire.
Supply chain et communautés locales : des responsabilités envers l’extérieur
Comme on peut le voir, le social est présent dans les deux dimensions. A l’externe, la prise en compte de la « supply chain » est un thème central de la RSE. Les fournisseurs sont compris comme parties prenantes de l’entreprise. Elle se doit donc de chercher à avoir à leur égard les mêmes exigences que pour elle-même, notamment en termes de droits de l’homme, de travail décent et de travail des enfants. Ce sont des problèmes extrêmement importants. Je ne dirais pas que la mondialisation empêche les entreprises de tenir compte de ce problème, mais bien plutôt qu’elle les force à le faire. Et ce parfois de manière tout à fait intelligente et durable. On sait par exemple qu’abolir du jour au lendemain le travail des enfants est une fausse solution, car cela supprime une source de revenu vitale pour les familles. Bien souvent, les enfants ne pouvant plus travailler dans les usines doivent recourir à d’autres moyens de gagner de l’argent. Ces moyens étant généralement liés à la criminalité (drogue, prostitution, vol, etc.), la situation devient encore plus intolérable. Certaines compagnies ont trouvé des solutions intéressantes en n’exigeant pas de leurs fournisseurs l’abandon total et immédiat du travail des enfants, mais établissant comme condition que les enfants devaient aller à l’école au moins 2 jours par semaine. Le rapport Good Fashion: A Guide to Being an Ethical Clothing Company propose d’autres solutions intéressantes (p. 35 notamment). C’est à mon sens un bon premier pas vers la suppression du travail des enfants.
Les mesures ayant trait aux communautés locales et à l’intégration de l’entreprise dans son milieu local sont de plus en plus mises à l’agenda. La question de l’impact d’une entreprise sur son « milieu local » ainsi qu’avec les différentes communautés. Le travail de Nestlé en ce sens est intéressant (pp. 44-45). On peut également citer le projet PUR, mené par P&G et décrit de façon passionnante dans une étude de cas réalisée par la Growing Inclusive Markets du Programme de Nations Unies pour le Développement.
Quelles sont domaines d’action de la RSE dans l’entreprise ?
A l’interne, la santé et la sécurité des travailleurs est également un thème très important. L’entreprise de textiles Switcher fournit un exemple très intéressant de ce qui peut se faire dans ce domaine, comme dans celui de la supply chain évoqué plus haut. Le Rapport CSR 2008 de cette entreprise fournit des informations à ce sujet (pp. 27-29 de la version complète).
Tout cela pour montrer que les entreprises sont et doivent être intéressées par la dimension sociale du développement durable. Il est certain que la thématique est moins « sexy » que celle de l’environnement, moins médiatisée, mais elle n’en demeure pas moins tout aussi importante. De plus en plus de compagnies le comprennent.
Ne pas tenir compte de la dimension sociale du développement durable n’est pas rentable à long terme
Lutter contre la concurrence en minimisant les avantages sociaux et les salaires et en maximisant la productivité avec des méthodes qui ne vont pas forcément dans le sens de l’épanouissement de l’être humain à travers son travail n’est – sur la durée – pas rentable. Ce modèle est de plus en plus abandonné par les entreprises. Je ne nie pas le fait que c’est un problème qui existe, de même que le dumping social, et que l’on est encore loin de l’avoir réglé. Je dis simplement que des solutions différentes, durables et responsables existent, et qu’elles sont en train de « marquer leur territoire ». C’est un combat de tous les jours pour leur faire gagner du terrain, mais j’ai bon espoir que cela devienne de plus en plus la norme !
Pour découvrir le blog de Julien Goy : Simplifier pour durer.
A mon avis, plusieurs questions se posent. La première est relative à des notions d’éthique financière, que je maîtrise malheureusement mal. Ces « bricolages » qui ont souvent lieu en finance (je rachète mes propres actions pour les annuler et ainsi faire monter le cours) me posent personnellement un problème, mais il n’a pas trait spécifiquement à la responsabilité sociale de Nestlé.
Une autre question se pose, et elle est très simple. Quelle est la responsabilité – sociale ou pas – de Nestlé ? Milton Friedman l’a dit en 1970 : la responsabilité sociale d’une entreprise est d’augmenter son profit, c’est tout (The business of business is business).
Je pense que cette idée n’est pas dénuée de sens, même si j’y ajouterai quelques nuances, somme toute fondamentales. La première responsabilité d’une entreprise est de faire du profit, mais elle en a d’autres. Lorsque John Elkington théorise la Triple Bottom Line, il insiste sur le fait que l’entreprise doit rendre des comptes au niveau social, environnemental et économique (People, Planet, Profit). Il convient donc d’équilibrer ces trois dimensions. Et il est sûr que si une entreprise n’est pas viable économiquement, elle ne pourra pas être « durable » dans tous les sens du terme.
Mon premier constat est donc qu’il ne faut pas avoir de réaction épidermique lorsqu’une entreprise cherche à augmenter son profit. Il ne faut pas se braquer.
Sur la base de ce constat, je pense que la question qui mérite d’être posée est celle de savoir à quoi va être utilisé le gain réalisé par l’entreprise, en l’occurrence ici via cette opération financière.
Je pense que c’est là que sont vraiment les enjeux éthiques. Si cet argent est utilisé pour augmenter les bonus des dirigeants, il y a un vrai problème. S’il sert à faire fonctionner l’entreprise, s’il sert à éviter des licenciements, s’il est investi dans des programmes de type CSR, tel que par exemple le « Lady Livestock Workers » (http://www.undp.org/partners/business/resources/cs_pakistan.pdf), c’est compréhensible.
En résumé, je dirais que ces opérations financières posent un problème éthique en elles-mêmes, notamment pour ce qu’elles ont créé récemment avec la crise. Ceci étant, je pense qu’il est important d’admettre qu’une entreprise cherche à maximiser son profit et que c’est là son but premier. A partir de là, il faut voir deux choses : 1.dans quelle mesure cette maximisation de profit se fait au détriment des aspects sociaux et environnementaux ; et 2. À quoi est utilisé l’argent ainsi gagné.
Bonjour Julien,
j’ai une petite question. Dans votre article, vous parlez de la RSE de Nestlé. J’ai lu récemment que Nestlé avait dépensé durant les dernières années plus de 14 milliards d’euros, 25 milliards de francs Suisse pour racheter ses propres actions et… les annuler, tout simplement pour faire monter le cours de bourse.
Trouvez vous que de telles pratiques sont réellement ethiques ?
Une entreprise qui agit de la sorte peut être elle vraiment être qualifiée d’éthique (Nestlé n’est pas la seule loin de la à avoir ces pratiques).
Cet argent ne serait-il pas utile s’il était utilisée pour des actions humanitaires ou tout simplement pour mieux rémunérer les agriculteurs à qui Nestlé achete ses produits de base. En France, en 2009, le revenu moyen d’un agriculteur laitier est de 750 euros par mois.
Merci à vous d’avoir publié ce petit article! C’est un plaisir de l’avoir fait, et ça aide à se remettre les idées en place!
Merci beaucoup Julien d’avoir pris le temps de répondre.